TULIPE
d'après « Tulipe ou la protestation » de Romain Gary
adaptation de Constance Mathillon, Sabine Revillet et Julien Rocha
PARTIE 1
1 – Génèse
Léni : Voilà comment tout a commencé, Dieu s'ennuyait à mourir sur son gros nuage, alors il a crée le rossignol. Et pour avoir un peu de musique, il lui a donné une très belle voix et le rossignol s'est mis à chanter et chanter et chanter à longueur de temps. Et puis un jour Dieu est mort. Alors le rossignol s'est retrouvé tout seul sur cette bonne vieille terre et plus personne pour l'écouter. Il n'a plus chanté mais pleuré et pleuré. Des ruisseaux, des rivières, des torrents, des océans de larmes, et des eaux a jailli la première femme. L'humanité tout entière a suivi. Voilà pourquoi l’humanité a été créée : pour fournir un public aux rossignols.
2 – La rencontre
Tulipe : Je peux vous offrir un coca-cola, une bière, un igloo dans le grand Nord, un ticket pour Hollywood ?
Léni : Non j'ai du travail.
T : Vous travaillez?
L : Ben oui!
T : Quel genre de boulot vous faites ?
L : Ça vous regarde ?
T : Du cinéma, j'parie ?!...Caissière ? Secrétaire !?
L : Non!
T : Bonne à tout faire ? Bonne à rien ? Caissière ? Serveuse ? Caissière ? Vous vendez du rêve ?
L : Et vous ? Qu'est-ce que vous faites dans la vie ?
T : J'vais vous le dire, pour le moment, j'écoute l’herbe pousser.
L : Belle occupation!
T : Mais je voudrais gagner du blé, avoir les poches pleines.
L : Et qu'est-ce que vous faisiez avant ?
T : Ha avant... je sors de prison.
L : Je parie que vous avez braqué une vieille!
T : Non, attaque à mains armées. Tu connais Jacques Mesrine? Billy the kid? Robin des bois ? Clyde Barrow ? Tout ça c’était moi.
L : Ouais.
T : Bon, qu'est-ce qu'on fait ici quand on veut rigoler, à part regarder l'herbe pousser ?
L : Vous avez des jeux plus excitants ?
T : Quel jour sommes-nous ?
L : Pourquoi ?
T : C'est très important de savoir exactement la date, le jour et l'année, s'en rappeler parce que tu sais quoi ?
L : Non.
T : On est en train de vivre un moment historique toi et moi.
L : Ouais. Et sinon, c’était comment ?
T : Quoi ?
L : Les hold-up ?
T : C'est autre chose que tout ce qu'on connaît.
L : Pff, je savais bien que tu n'avais jamais rien dévalisé ! Et comment vous vous appelez?
T : Tulipe. C'est un nom que j'ai pris au côté du Che, non en 17 à Leningrad, non pendant le printemps du jasmin et le sang que j'ai versé à donné à ce nom un accent de vérité.
L : Mouais. Faites pas la tête ! Ça vous va pas du tout.
T: C'est quoi faire la tête ?
L : C'est ça.
T : Je trouve que ça vous va très bien.
L : Moi c'est Léni. Enchantée.
3 . Plans sur la comète
T : Non, doucement. Arrête, t'excites pas comme ça, t'es folle. Arrête,
arrête. Laisse-moi. Bon écoute-moi maintenant, je veux pas qu'il y ait de
malentendu, hein, l'amour moi c'est, c'est pas mon truc. Non mais c'est pas
spécial pour toi. C'est enfin j'ai, j'ai jamais trouvé ça excitant. Je suis
normal, j'aime pas les hommes, je suis pas pédé.
L : Oh ben ça alors, ben ça par exemple.
T : Hein ?
L : Ben ça.
T : Ben ça quoi ?
L : Ben toi alors, on peut dire que tu trompes ton monde. Personne ne
se douterait que tu n'as rien à offrir. Bon ben j'ai plus qu'à rentrer à la
maison.
T : Attends.
L : Me touche pas.
T : Ah c'est bon, c'est bon, si ton ambition est de trouver un étalon,
va voir ailleurs si j'y suis et tu y croupiras jusqu'à la fin de tes jours. Des
gars pour faire l'amour, t'en trouveras à tous les coins de rue. Et ceux-là se
foutent pas mal que tu vendes ton cul ou que tu fasses la caisse du Super U ou
n'importe quel boulot de bonne femme mais moi, je ne m'en fous
pas.
L : Pourquoi ?
T : Ben qu'est-ce que ça veut dire pourquoi ? Parce que t'es pas
comme les autres. T'es comme moi, tu veux que les choses bougent. Un drapeau
blanc au-dessus de ce putain de monde. On vaut mieux que cette vie-là. Si on
part tous les deux, on peut se tailler une belle route à travers l’Europe, et la
Californie, et la Cordillère des Andes, et le grand nord, et les grandes plaines
de Russie, et Tokyo si il faut, et Paris, Rome, Londres, Marrakech et aussi
Dubaï ! Et le monde entier nous appartiendra. Retiens mes paroles, Léni,
retiens-les bien. Tu te vois entrer dans le grand restaurant du Hilton à
Cannes, tu montes les marches avec... toute la panoplie Chanel, hein tu vois ça
d'ici ? Tu crois que c'est trop demander mais c'est pas encore assez pour
nous, tu es née pour ça.
L : Et quand est-ce que tu l'as inventé ton
roman ?
T : A la minute où je t'ai vue.
L : Mais pourquoi ?
T : Si tu viens avec moi, tu n'auras plus une minute
répit.
L : Tu peux me le jurer ?
T : Tu vas devenir la fille la plus célèbre du monde.
L : Plus célèbre que Madonna?
T : Non. Bonnie Parker.
4 – Le fruit défendu
T : J'ai longtemps erré sur les traces de l'humanité. Je suis
« une personne déplacée » et pas du tout rassurée... piétinée dans ses
rêves les plus paisibles. J'ai faim. Quel jour sommes-nous ?
5 – Léni
T : Je voudrais manger un gigot de mouton avec des pommes de terre en
satellites.
L : Il nous reste trois dollars à nous deux et toi
tu rigoles ? T'as une sale tronche. Tu devrais aller dehors voir à
quoi ça ressemble !
T : Je m’en doute.
L : Faut bien vivre ! On dirait que tu portes
toute la misère du monde. On est pas à Auschwitz.
T : C'était pas Auschwitz le plus horrible, mais
les petits villages à côté.
L : De quoi tu parles ?
T : Des petits villages à côté où les gens vivaient
heureux. Aujourd'hui rien n'a changé.
Nous habitons tous le village à côté, nous écoutons de la musique, nous lisons
des livres, nous faisons des plans pour passer les vacances à la mer.
Et qu’importe si les trois quarts du monde sont dans la misère,
pourvu que brille le soleil dans notre village d’à
côté ?
L : Arrête, arrête de méditer sur les misères
du monde, et bouge. La terre continuera toujours de tourner, heureux ou
pas...J'ai faim.
T : Où vas-tu ?
L : Poser pour une pub de
soutien-gorges.
T : Nue ?
L : Les seins seulement !
T : Non...
L : Tindin !(elle montre ses
seins)
Il l'empêche de partir.
L : Ça te fait peur de découvrir qui je suis ?
T: Je sais déjà tout de toi.
L: Ah oui ? Épate-moi.
T : Alors tu viens de nulle part comme moi.
L : Oui.
T : Fille d'une nombreuse famille.
L : Oui.
T : Tu es allée à l'école bien sûr mais tu n'y a pas appris grand
chose, tu en savais déjà plus long que tout le monde. Et un beau jour, tu
plaques tout pour un garçon que tu trouves gentil parce qu'il te dit que tu es
une fille merveilleuse. Tu étais presque mariée avec lui ? Et puis tu as
pensé, non ça serait bête. Alors tu l'as quitté et c'est là que tu as pris cette
place de « serveuse ». Et tous les matins en te réveillant tu penses,
je déteste ça. Tu détestes ça, tu descends en ville, tu mets ton tablier
rose.
L : Blanc.
T : Blanc. Les clients te dégoûtent avec leurs gros bras. La plupart te
demandent d'aller faire un tour pour coucher avec toi. T'en as marre. Quand tu
rentres à la maison, tu te jettes en travers de ton lit et tu te demandes quand
et comment faire pour sortir de ce trou. Aujourd'hui, tu le sais. (Il lui
enlève son chewing-gum puis la gifle). Change ça, j'aime
pas !
L : C'est vrai, je viens de nulle part. Juste une pauvre fille qui
croit que tout est possible. Je vis sur un petit nuage, j'espère des trucs que
j'aurai jamais. Je me fais des films. Je voudrais être actrice, à Hollywood.
C'est pas impossible. Je pourrais être Jean Seberg. Ou Kate Winslet dans
Titanic. Ou Marilyn Monroe. peut-être seulement dans une pub pour des
barbituriques, d'accord, mais Marilyn.
Mais au lieu de ça, je suis là. Et j'ai fais quoi, jusque là ? Juste
pas grand chose. J'attendais. Je me disais faut que tu te décides à faire
quelque chose de ta putain de vie. Et puis t'es arrivé. Peut-être que tout ce
que tu m'as promis, c'est des conneries mais moi j'y ai cru à notre belle
histoire... sauf qu'il est où l'igloo ? Hollywood ? Ma panoplie Chanel...Il est
où Robin des bois, Clyde Barrow ? Il est où Tulipe ? Je suis sûre que t'as
jamais rien piqué, même pas deux balles dans le porte-monnaie de ta mère.
Tulipe, pour pas qu'on reste ici toute notre vie sans rien faire...faut qu'on
trouve une idée de génie...
T :Où tu vas ?
L : Poser à poil pour des photos. Ben oui. Tu m'as prise pour
qui ? Léni. Voilà qui je suis. Et puis faut bien qu'on bouffe... Et j'ai
faim !
T : Ben change rien, t'es
formidable.
6 – Chassé du jardin
d'Eden
T : J'ai longtemps erré sur les traces de l'humanité. Je suis
« une personne déplacée » et pas du tout rassurée... piétinée dans ses
rêves les plus paisibles. Quel jour sommes-nous ? C’est très important de
savoir exactement la date. Le jour, l’année, le temps qu’il fait, tout cela est
d’une importance capitale : il ne s’agit pas de laisser cette époque
historique vous filer entre les doigts.
7 – Une idée de génie
L : Un fort vent de défaitisme
souffle ici. Les choses ne vont pas si mal que ça. L’humanité s’est traînée
jusque-là, elle se traînera plus loin encore.
T : Elle s’est traînée jusque là, d’accord, mais on se demande
pourquoi ?
L : Parce qu'elle attend son chant de son
rossignol.
T : La révolte. La révolte c'est son chant de
Rosignol.
L : Et ce qui manque c'est juste un rossignol.
T : Un guide pour que demeure la trace de ses pas. Une belle et pure
figure de proue. Un
nouveau Führer ! Kadhafi ! Un petit Poutine !
L : Mange un morceau, ça te fera du bien, on
n'a rien mangé depuis vingt-quatre
heures.
T: Si j’avais le courage de mes idées, je ne mangerais plus. Personne
ne mangerait plus. L'humanité entière ferait la grève de la faim pour protester
contre l’époque, contre la haine, contre la peur, contre le repli sur soi et le
silence, contre tous ces villages heureux en apparence et paisibles mais qui
oublient, s'oublient en croyant qu'ils dorment en marge de la misère du monde.
L : Qu'est-ce qu'il y a ?
T : Je rêve... On pourrait lancer un de ces grands
mouvements humanitaires "Contre
le petit village d'à côté, tous unis et en avant !" ça pourrait être un
joli slogan. "Arrêtez
le monde, je veux descendre !". Putain, je viens d'avoir
une idée de génie !
L: Qu'est-ce c'est encore comme cochonnerie ?
T : Une formidable escroquerie, une affaire prodigieuse ! Une
idée si belle et si simple ! Je
vais organiser une
grève de la faim pour protester, pour réclamer du pain, de la lumière et de la
chaleur pour tous… On va se faire un fric fou ! Tu vas
voir, on
va rire !!
Ecoute-moi: 925
millions d’hommes meurent de faim … Et
vous ?
PARTIE
2
8.
Babel
Le rossignol
continua de chanter et l'humanité continua de grandir. Dans un premier temps le
public de plus en plus nombreux était attentif au chant du rossignol. Puis
l'humanité s'est désintéressée de lui, trop occupée par son propre spectacle.
9. A la une
L : Bonjour à tous, j’ai eu vent d’un événement
sensationnel. Pas un crime,mieux que ça: un homme meurt de faim. Vous allez me
dire : « Sans intérêt. Il y a des millions de types qui crèvent de
faim dans le monde. Si vous croyez qu’on parle de chacun d’eux dans les
journaux. Moi même j’ai crevé de faim à New York. Ça n’intéresse
personne. » Je suis d'accord, on commence toujours par crever de faim à New
York, Dallas, Paris ou Reims jusqu’au jour où l’on fait crever de faim les
autres. C’est ce qu'on appelle « réussir ». Mais Celui-là meurt de
faim VOLONTAIREMENT. Il fait la grève de la faim. Vous voulez savoir pourquoi ?
Attendez. Je l'avais noté sur un petit bout de
papier...
10. Interview
T : Vous avez des questions à me poser.
Spectateur 1 : Pourquoi faites-vous tout
ça?
T : Pour protester contre la grande misère du monde. Pour rendre le
goût du sacrifice aux hommes et leur montrer la voie. Pour éveiller dans notre
époque avilie, un grand écho de fraternité et de solidarité humaine.
Spectateur 2 : Vous êtes
un nouveau Gandhi. Vous faites du prosélytisme ?
T : Et vous?
Spectateur 3 : Vous n'avez
pas honte de faire la grève de la faim alors qu'il y a une famine en
Somalie ?
T : Joli pays la Somalie. Mais l'Afrique c'est loin. Enfin l'humanité
c'est bien plus loin encore.
Spectateur 4 : Avez-vous
des convictions politiques ?
T : Mais vous me prenez pour un homme libre, ma
parole.
Spectateur 5 : Que
pensez-vous du capitalisme? De l'impérialisme? Avez-vous une usine?
Respectez-vous les banques?
T: Chaque fois que j'en croise une je me signe, parole d'honneur!
Spectateur 6 : Voulez-vous
changer par la force les institutions de ce pays?
T: Non, je suis jeune, je suis prêt à attendre que ça s'écroule tout
seul.
Spectateur 7 : Et le
problème noir? Le problème jaune? La montée de l'islam? L'islamophobie? Que
pensez-vous du problème des roms ?
T : J’admire énormément la délicatesse avec laquelle toutes ces
questions sont traitées, sans jamais aller aux excès de Dachau ou Staline.
L
: De qui se fout-on ici ?
T : On se fout de tout, on s'en fout de tout. On se
fout de la qualité, on s'en fout. On produit, on consomme, on engloutit. Il faut
arrêter l'humanité dans sa course folle car on se fout de la douce lumière du
jour, on se fout des océans et des îles mystérieuses et des neiges de l’Himalaya
et des fleurs étranges qui poussent, dit-on, sur le Kilimandjaro. on s'en fout.
On se fout de la liberté des nations et de tous les violons qui ont jamais
pleuré sur cette terre et de tous les bateaux ivres de l’espoir humain, des
mains tendues et de celle qui mourut sur un bûcher et des premiers qui ont dit
je t’aime. on s'en fout. et de Hans Scholl, l'anti-nazi qui cria vive la liberté
avant d'être fusillé, on s'en fout. on se fout de l’amour maternel et de la vie
de nos enfants, on s'en fout, et de leurs avis on s'en fout. et des
encyclopédies et des villes rasées et des histoires intimes. on s'en fout, on
s'en fout, on s'en fout. J'ai commencé la seule chose qui restait à faire : une
grève de la faim pour protester contre la condition humaine. Elle sonnera comme
un cri de ralliement. Ça commence ici. Par moi.
L
: Mais vous êtes
qui ?
T : Regardez-moi bien. Je suis une toile de maître. Je suis le
portrait de l’homme vers le début du vingt et unième siècle dans toute sa
grandeur. Je suis celui pour qui Homère à chanté, Michel-Ange sculpté, Marx
pensé et Newton calculé, Jimmy Hendrix joué, Neil Armstrong volé, et c'est pour
moi que De Gaulle a fait de la radio ! Regardez-moi bien mes frères :
je suis plus maigre, avec moins de poils sur la poitrine et la gueule qu’il y a
vingt mille ans, mais à part ça, il n’y a rien de changé à ma misère. Je suis
l’homme moderne, l’homme nouveau, libre, puissant, victorieux jusqu’à la moelle
des os ! Je suis un appel au réveil de la civilisation!
L :
Tout à l'heure, vous étiez une toile de maître, à présent, un
réveil...Qu'en sera t il la
prochaine fois ? Un caillou peut-être, un caillou qu’on jette dans le
gouffre, pour voir si c’est profond...?
T : Je ne sais pas. Je ne suis pas un intellectuel.
L :
Quel est votre but ?
T :
Pour l'instant, je veux attirer l’attention... Aidez-moi.
Unissez-vous à moi dans mon humble
protestation. Tous les dons seront reçus avec
reconnaissance. Nous manquons de produits alimentaires,
de vêtements chauds et surtout d’argent liquide. N'hésitez pas, soyez généreux.
C'est pour la bonne cause. Un timbre poste doit être joint pour la
réponse.
11. L'emballement
L :
Passant la monnaie...
Léni
chante « Summertime ».
L
: Tulipe ! Vous ne pouvez plus vous déplacer sans être assailli par une
horde de fans en furie. Il est évident qu'une question brûle toutes les lèvres
de vos fans : Avez-vous une petite
amie ?
T :
Peut-être pourriez vous me le dire ?
12. Prophète.
Pendant des siècles l'humanité gloutonne a ignoré le chant du
rossignol. Jusqu'à ne plus en comprendre le sens. Alors le rossignol n'a plus
chanté que pour les rêveurs affamés. Un jour, l'un d'en eux, une personne
déplacée et pas du tout rassurée, voulant arrêter l'humanité dans sa course
folle à appris le chant du rossignol. Et l'a chanté aux autres
hommes.
13. Répercussions
L : Le jour se lève.
T : La nuit, c’est tout ce qu’on mérite. Une nuit
noire, froide et sans sucre, comme le café des mauvais lieux. Et voilà tout ce
qu’il y a de nouveau. Le jour qui se lève. Un peu maigre. Quelles sont les
nouvelles ?
L : « Tulipe
refuse obstinément toute nourriture. », « Plusieurs manifestations de
jeûneurs devant Mc Donald, Danone, Master Chef et Weight Watchers »,
« Tulipe, Le Mahatma », « Ne
soyons pas indifférent à la grandeur de Tulipe! » « Soutenez
Tulipe, donnez ! », « Tulipe à déjà amassé 80000 dollars de
souscription. Tulipe, la réussite
asociale »
T : Ça mord. Ça mord ! Il mange.
L : Dans celui-là, on te traite de socialiste.
« Une forme nouvelle de sabotage »
T : Qu'est-ce qu'ils disent?
L : « Si
les jeûneurs se multiplient, la consommation sera ruinée. La production sera
réduite à néant car des ouvriers qui ne mangeraient pas seraient incapables de
travailler. Nous courons droit à l’abîme. Nous
exigeons la mise en examen de Tulipe et de ses
partisans. »
T : Autre chose?
L : Les autres pages sont entièrement vouées à
l'actualité... On a reçu notre première lettre de soutien de l'étranger.
Qu'est-ce qu'on répond ?
T : Dis-lui qu'il faut déjà qu'elle paye sa cotisation.
14. L'amour non je peux
pas
T : Léni. Il faut que je te parle sérieusement.
Voilà. Pour l'instant ça mord c'est super mais un jour tout va nous retomber sur
la gueule et ça va pas être tendre. Alors écoute, il en est encore temps.
Casse-toi. Je t'achète une voiture et. Casse-toi.
L : Non.
T : Je tiens beaucoup à toi tu sais ?
L : Non
T : Écoute, si c'est pour le fric, je t'en donne tant
que tu veux.
L : C'est pas ça qui m'intéresse. Tulipe, je voudrais qu'on soit Roméo et
Juliette...
T : Roméo et Juliette, ça c'est
bien des idées de filles. Je t'ai déjà dit, l'amour c'est pas mon truc.
L : Tu vois, tu disais que tu ne pouvais pas te passer de moi ? Tu
peux très bien. Roméo lui ne pouvait pas se passer de Juliette. Mais toi tu
peux.
T : Non. Je ne peux pas me passer de toi. Fais pas cette tête. Qu'est-ce que
t'as ?
L: Rien tout va très bien.
T :Souris-moi, je compte jusqu'à 8. Si à 8 tu ne m'as
pas souri, je t'étrangle.
L : Oh la la, ça c'est bien des idées de garçon.
T : 2...3...4 5 6...7...7 et demie...7 trois quarts...
tu as tellement peur que je parie que tu vas
sourire.
L : J'ai plus envie de jouer aujourd'hui.
T :Tu es lâche, c'est dommage.
L : Pourquoi tu me dis ça ?
T : Tu m'énerves. J'sais pas.
L : Toi aussi.
T : Non, moi je ne suis pas lâche.
L : Comment tu peux savoir que j'ai peur ?
T : Dès qu'une fille dit que tout va très bien, c'est qu'elle a peur de
quelque chose. Je ne sais pas de quoi mais elle a peur. C'est pour ça que je te
disais de te casser. Casse-toi !
L : Tu m'énerves.
T : Léni? Tu m’aimes
toujours ? Je te dégoûte pas ?
L : Pas plus que d’habitude.
T : Je suis un cochon.
L : Ca c'est sûr.
T : Je le savais, tu ne m’aimes plus...
L : Mais si mais si. L'amour
ça prend aussi les cochons.
T : Bientôt. On partira d'ici.
L : Oui.
T : On ira vivre quelque part à Hollywood, loin de la
civilisation.
L : Oui.
T : Nous irons vivre loin de la société, quelque part dans les
solitudes polaires.
L : Oui.
T : Nous aurons un igloo, des chiens fidèles, des enfants qui n'iront
pas à l'école.
L : Oui.
T : Le matin, j'irai à la chasse au phoque et je reviendrai le soir
épuisé mais heureux.
L: Oui. Le sport ça fait du bien.
T : Toi pendant ce temps, tu donneras la tétée à nos enfants, la
becquetée aux pingouins familiers. Et nous vivrons et mourrons
heureux.
L : Nous vivrons et mourrons heureux, c'est ça ! Le petit bonheur
à deux, tu crois que c'est un bonheur à ma taille ?!
T : Qui te parle de
bonheur ? Je te parle seulement d'amour.
15. Infoswebdiffusion
Télé : Mon mari a voulu
commencer une grève de la faim. Heureusement il ne peut pas résister à mon sauté
de veau. Mon secret : le sauté de veau William serin. En plus en ce moment
pour 2 boîtes achetées un ouvre-boîte est offert. Voir modalités et conditions
dans les magasins participants.
Nous continuons notre reportage. Il
est impossible de ne pas être pénétré d’un sentiment d’enthousiasme et de
profonde émotion face à l'ascension fulgurante du jeune Tulipe. Aujourd’hui
quarante deuxième jour de la croisade de la faim de Tulipe. Le maire a fait
appel à l'armée pour contenir les opposants venus en nombre manifester contre
celui qu'ils appellent "la mauvaise herbe" ou encore "le faux messie anarchiste
escroc international". Ses partisans ne sont pas en restes. Une foule compacte a
répondu à son appel et s'est massée place de l'hôtel de ville. Le voilà. Il
reçoit un bouquet de fleurs d’une petite fille. Il l’embrasse. C’est très
touchant. Vous entendez les acclamations de la foule. Je vais tenter de
l'approcher. Tulipe, pour Infoswebdiffusion. J'aurais une toute petite
question...(Tulipe
parle) Le temps est venu
pour un monde sans question, un monde tout vibrant d'une seule et infinie
réponse. Je suis la réponse. Voici la question. Voilà
des semaines que vous poursuivez votre jeûne et certains journalistes s'étonnent
à juste titre de vous voir en excellente santé. Avez-vous une explication à
donner ? Ce programme vous est offert par les automobiles Lord.
« Souple, économique, rapide, la voiture Lord travaille elle aussi pour le
bonheur du genre humain.»
T :
Hommes, femmes, pays, nous avons été à
ce point infectés d’indépendance que nous ne sommes même pas devenus
indépendants : nous sommes devenus infects. Écoutez bien car je suis l’étincelle qui
va mettre le feu aux continents. L’heure de la révolte a sonné,
je vais créer des Milices humanitaires à
travers le monde, armer tout une jeunesse enthousiaste, sincère et impatiente de
servir et de faire enfin quelque chose de vraiment
nouveau.
J’appelle à moi toutes les bonnes volontés humaines. Homo sapiens, ne vois-tu
pas que le masque est tombé ? Tout est à renouveler dans notre patrie
humaine : les cœurs, les esprits… Vous avez bâti des cités extrêmement
rapides, trouvé des lumières dont le soleil lui-même ne se doutait pas ; vous
avez imprimé plus de livres que vous n’en brûlerez jamais… Les collectivités
sont aveugles. Abolissez le principe criminel de la souveraineté des états. Je
veux libérer enfin toute la force cachée de l’individu. Une civilisation qui en
deux mille ans de son existence n’a pas su chasser la haine, la misère, la
violence de son sein, ne mérite pas autre chose qu’une fin immédiate. Une action
énergique s’impose. Aucune hésitation n’est permise. L’abstention est une
trahison. Choisissez l’amour, choisissez-moi…Je veux encore élever ma voix. Je
veux porter plus haut ma protestation. Suivez mon exemple… Il n’y a pas un
siècle à perdre !
T : Comment c'était?
L : Bien.
16. Voir Hollywood
L : J'men vais ! J'm'en vais. Tulipe. Reste avec toi. Tu devrais
dire ça normalement.
T : Reste avec moi.
L : C'est trop tard, fallait le dire quand j'ai dit je m'en vais.
Tulipe j'en ai marre. Ta gueule. Ferme ta gueule. Y'a un message subliminal
dans ce que je vais te dire : va te faire foutre. Moi je vais à Hollywood.
Je veux être une actrice. Je veux être Uma Thurmann dans un film d'action. Le prochain Tarantino. Billie
Holiday qui s'engage dans la brigade des stups, Aung San Suu Kyi en
résidence surveillée qui s'échappe par la fenêtre de la salle de bain. Je
pourrais être Ève qui
adopte un serpent. Ou un film d'époque avec des belles robes : Angélique
marquise des anges. Ou un truc sur les Tudors. Anne Boleyn décapitée qui
retrouve toute sa tête. Et après je tourne « Sur la route de
Madison 2» . Mets la musqiue de mon film. La musique !!! Avec Jackie
Kennedy au volant de sa décapotable, et sur le bord de la route y'a Rosa Parks
qui fait du stop « Allez grimpe Rosa, ici tu t'asseois où tu veux » et
à l'arrière y'a Sarah Bernhardt qui se tricote une écharpe, un film avec Sarah
Bernhardt qui se tricote une écharpe, c'est cinéma indépendant, et là on me
propose un drame historique. « Nuit et brouillard ». Et puis, un
truc ultra féministe genre Lucie Aubrac qui rejoint les Femen, Evita qui en a
marre de servir la soupe à Péron alors elle saute à l'élastique du haut de sa
tribune, elle rejoint Buffalo Bill, elle devient sa maitresse et ils partent en
Afrique sauver les éléphants mais ils se font attaquer par Aminatou de Zazzaou
et toute sa tribu, bien sûr ça sera compliqué de jouer Eva Peron et Aminatou
mais si on se débrouille bien, et après une comédie. Louise Michel dans "qui a
perdu son chat ?", Mata Hari dans « totalement à découvert », un porno
je sais pas ce qui m'a pris, et ensuite toutes les héroïnes : la reine de
Sabba, Simone Veil, Shéhérazade, Romy Schneider, Marie Curie, Anne Franck,
Angela Davis, Frida Kahlo, Mere Teresa, Agatha Christie, Bonnie Parker.
Hollywood. Hollywood. Hollywood. Hollywood. Hollywood.
T : Arrête de hurler !
L : J'ai besoin de hurler. J'ai besoin de hurler pour ne pas éclater.
Je tâche simplement de hurler quelque chose de raisonnable.
Hollywood !
PARTIE
3
17. Déluge
Léni détruit tout. Tulipe s'en contrefout.
18. Solitude
T : Aujourd'hui premier jour de mon véritable jeûne.
Ça fait trois jours que je ne mange plus.
Septième jour de mon véritable jeûne. J'ai
faim, j'ai froid, j'ai des poux, ce qui prouve que l'humanité est capable de
survivre au désastre. Je ne me moque que de moi-même.
Dixième
jour. Je fais le malin, je grogne, mais en réalité je suis à vendre.
Voulez-vous m'acheter ? Le cynisme c'est tout ce qu'il me reste. Si vous
prenez aux hommes leur cynisme avec quoi vont-ils se défendre ? Nous
courons droit à l’abîme. L’abîme, c'est le rêve insensé des hommes habitués à un
enfer de platitude.
Quinzième jour. Je ne
pleure même plus. Ni sur mon sort, ni sur le sort du
monde. Mes larmes sont toutes mortes. Une est partie avec Léni, d'autres étaient
déjà mortes , écrasées sous les bombes, noyées en quittant leur pays, asséchées
en plein désert, pendues, violées, fusillées, condamnées alors qu'elles étaient
innocentes et bientôt elles furent toutes englouties....... Et me voilà
maintenant tout seul sans une larme.
20ème jour de jeûne. Moi tulipe, je
suis devenu le leader du grand mouvement d'émancipation
humaine. Il y a des gandhis
partout. Ils font comme moi, la grève de la faim, tous résolus à vaincre ou à
mourir. Un
service d'ordre est posté en bas de chez moi, des milliers de jeunes filles se
couchent dans la rue en extase, dénudées. Moi,
au milieu de tous ces gens, je ne suis le petit ami de personne.
Trente-huitième jour : Je suis la patrouille de l’aube qui s’avance
dans le no man’s land…
Aujourd'hui, quarante
deuxième jour de mon véritable jeûne. Je regarde l'avenir de l'homme. Je
vois quelqu'un qui meurt sur la croix, un autre qui invente l'imprimerie. Pff,
je regarde du mauvais côté, il faut regarder en avant. Je vois des peuples unis,
des voyages sur la lune gratuits pour tout le monde, il n'y a plus de cancer ni
de sida, plus de sans papiers, c'est le règne de la solidarité, les guerres ont
disparues. Mais non c'est une blague! Je ne vois rien! Je vois un grand rien.
Dommage! Les forêts ont brûlé, les océans débordé, il y a de la cendre partout.
Ça sent le roussi...La terre ressemble à une patate brûlée. C'est à cause de la
bombe atomique. Celui qui me donne le secret de
l'énergie nucléaire, je lui donne en contrepartie le plan complet de la
cathédrale de Chartres.Les civilisations
n'ont pas d'avenir, elles n'ont pas de présent non plus, tout ce qu'elles
ont c'est un passé. Oh. Je vois quelque chose. Un arbre debout, tout nu, sans
feuilles. Sur une de ses branches, un rossignol chétif. Son bec s'ouvre, des
sons affreux sortent de sa gorge. Il chante. Oui. Il chante d'une voix humaine,
il ne chante que des chants révolutionnaires. Le rossignol a une affreuse tête humaine. Il me
ressemble. C'est moi. J'ai la plus belle voix du monde. Y'a
de l'espoir y'a de l'amour. Le rossignol chante pour
vous.
Tulipe chante « Is this it »
Soixante-treizième jour
de jeûne : Le rossignol se
saoule de sa propre chanson.
Aujourd'hui,
cent-cinquantième jour de jeûne. Le
Vatican veut-il savoir si mon corps dégage une odeur de roses ? On
parle
de miracle.
19. Miracle
T : Lève toi et marche
!
Léni entre, suivie par un cameraman. Elle porte des lunettes
noires.
T :Tu es aveugle ? Ouvre les yeux et vois !
Elle enlève ses lunettes noires.
L : Tu ne me reconnais pas ?
Silence
L : Je suis actrice. J'ai joué dans un film, avec un
grand réalisateur. Tu t 'appelles
comment ?
Cameraman : François
Spielberg.
L : Spielberg.
Là-bas, à Hollywood, un film sur toi, ta vie. J'avais un rôle phare,
j'interprétais mon propre rôle, celui de ta petite amie. Tu m'as manqué.
Le film s'appelle "Les
derniers jours de Tulipe et Léni".
T : Une vieille histoire d'amour qui n'intéresse plus
personne.
L : Les gens adorent les histoires d'amour, surtout lorsqu'elle sont un
peu tristes. Je suis venue te voir mourir. Comment ai-je pu à tel point douter
de toi ? Je n'ai jamais douté de toi. J’ai juste douté des autres hommes.
T : Je crois aux hommes.
L : On ne peut pas croire aux hommes et vivre, on mourrai à chaque
instant le cœur brisé. Sinon je peux dire aussi : Autant jeter une
bouteille à la mer. Enfin, il n'y a même plus de mer, il n'y a que des
bouteilles.
T : J'aime. J'ai beaucoup aimé l'humanité.
L : On ne peut pas l'aimer toute entière. On peut l'aimer dans un homme
ou une femme, comme on aime toute la Terre dans un chewing-gum. (Au
cameraman) Coupez ! Coupez !Allez viens. Je suis venue te
chercher. Il faut qu'on se casse d'ici Tulipe. Tu as trop chanté. Les gens tu
les entends? Spielberg, on peut avoir de la luimière ? Tu les vois ?
Ils te veulent pour président! Ils te veulent au Sénat, à L'ONU, ils te veulent
pour pape! Ils te veulent partout! Il y en a même un qui croit que tu vas te
transformer en oiseau et t'envoler par la fenêtre.
T : J'ai faim
L : A cause de toi, ils croient que les peuples vont guérir de la
rage nationaliste, que tout le monde aura du pain, qu'il n'y aura plus de
malheurs. Mais Tulipe! Tu vas leur donner la lumière et ils vont continuer à
tourner en rond dans les ténèbres. Tu vas leur rendre la parole et ils vont
t'insulter. Tu les entends? En vérité, ils grincent des dents, ils vont te
pendre.
T : Pour quelle raison? De quoi on pourrait bien m'accuser. On
m'embrasse, on me vénère, on m'envoie des bouquets de tulipes et, du jour au
lendemain, on voudrait me rouer de coups... ?!
L : Comme s'il leur fallait une raison pour pendre un homme !
Tulipe. Qu'est ce que tu ferais, qu'est ce que tu ferais, si un miracle se
produisait. Si on pouvait sortir d'ici et repartir de zéro, purs et innocents,
hein ?
J'ai faim, il faut que je mange quelque
chose.
20. Le nouveau
monde.
L : La personne déplacée chantait pour que jamais aux nuits des hommes
ne manque le chant du rossignol. Mais l'humanité toujours plus gloutonne ne
voulait pas entendre. Alors la personne déplacée, n'a plus mangé du tout. Et
enfin les hommes l'ontt entendu et acclamé. Alors pour que l'humanité continue
d'écouter il fallait que plus rien ne la détourne de son chant. Alors il mangea.
Il mangea comme tremble la terre, comme souffle le vent, comme boit la mer.
T : Il avala la douce lumière du jour qui se lève, Guantánamo et
Buchenwald, le petit village à côté et ses pêcheurs à la ligne et tout le pain
sec des prisons. Il engloutît tous les champs de coton et les plus grandes
usines du monde et tous les contes jolis qu’on murmure à l’oreille des enfants
et tout l’espoir qu’on donne aux hommes et toutes les fleurs qu’on appelle
sauvages parce qu’elles poussent librement.
L : Il mangea comme on refuse de se rendre, comme on dit adieu à l’aube, comme on pend un dictateur, mais lorsqu'il eut fini de manger, il avait encore très faim et il y avait encore, sur terre, beaucoup beaucoup à manger.
T : Alors il engloutit notre dame, les jardins suspendus de Babylone La théorie de la relativité, Roméo et Juliette.
L : Il avait encore faim et il y avait toujours sur terre beaucoup beaucoup à manger.
T : Il avala wall street, Fukushima, les immigrés qui font naufrage, 20000 tonnes de bombes et d'armes chimiques en une seule nuit sur une seule capitale. 20 siècles de civilisation et tout l'amour des philosophes et Michael Jackson.
L : Il mangea comme jamais homme ne mangea sur terre et quand il eut terminé il vit qu'il restait encore de quoi crever de faim, de honte, de guerre et de mépris, de bêtise et d'espoir, d'amour et de beauté et de ferveur infinie pendant des millénaires. Alors le cœur lui manqua, les bras lui tombèrent et il sut que jamais, jamais rien n'empêcherait l'humanité d'ignorer le chant du rossignol.
T : Oh race traîtresse des hommes....
L : Il ouvrit la fenêtre.
T : On ne peut pas continuer éternellement à errer sur ce glacier.
L : As-tu seulement pensé au triste matin où il n'y aura plus personne pour ouvrir la fenêtre au jour qui se lève ? Alors il lui vint des ailes. Il flotta un moment dans l'espace tout en serrant contre lui, une miche de pain, il prenait des miettes et les jetait à la foule, comme s'il nourrissait des oiseaux. Puis, il s'éloigna aspiré par le ciel et disparut. Pendant longtemps des miettes de pain continuèrent à pleuvoir sur la terre. Voilà. Je ne vois pas ce que je peux rajouter d'autre. C'est comme ça que ça se termine. C'est un rossignol. Bon. Moi, je prendrai bien un coca-cola ou une bière. J'ai besoin de me dégourdir les jambes. On se fait une virée quelque part? Ou alors quoi? ...? Il faut bien vivre!
d'après « Tulipe ou la protestation » de Romain Gary
adaptation de Constance Mathillon, Sabine Revillet et Julien Rocha
PARTIE 1
1 – Génèse
Léni : Voilà comment tout a commencé, Dieu s'ennuyait à mourir sur son gros nuage, alors il a crée le rossignol. Et pour avoir un peu de musique, il lui a donné une très belle voix et le rossignol s'est mis à chanter et chanter et chanter à longueur de temps. Et puis un jour Dieu est mort. Alors le rossignol s'est retrouvé tout seul sur cette bonne vieille terre et plus personne pour l'écouter. Il n'a plus chanté mais pleuré et pleuré. Des ruisseaux, des rivières, des torrents, des océans de larmes, et des eaux a jailli la première femme. L'humanité tout entière a suivi. Voilà pourquoi l’humanité a été créée : pour fournir un public aux rossignols.
2 – La rencontre
Tulipe : Je peux vous offrir un coca-cola, une bière, un igloo dans le grand Nord, un ticket pour Hollywood ?
Léni : Non j'ai du travail.
T : Vous travaillez?
L : Ben oui!
T : Quel genre de boulot vous faites ?
L : Ça vous regarde ?
T : Du cinéma, j'parie ?!...Caissière ? Secrétaire !?
L : Non!
T : Bonne à tout faire ? Bonne à rien ? Caissière ? Serveuse ? Caissière ? Vous vendez du rêve ?
L : Et vous ? Qu'est-ce que vous faites dans la vie ?
T : J'vais vous le dire, pour le moment, j'écoute l’herbe pousser.
L : Belle occupation!
T : Mais je voudrais gagner du blé, avoir les poches pleines.
L : Et qu'est-ce que vous faisiez avant ?
T : Ha avant... je sors de prison.
L : Je parie que vous avez braqué une vieille!
T : Non, attaque à mains armées. Tu connais Jacques Mesrine? Billy the kid? Robin des bois ? Clyde Barrow ? Tout ça c’était moi.
L : Ouais.
T : Bon, qu'est-ce qu'on fait ici quand on veut rigoler, à part regarder l'herbe pousser ?
L : Vous avez des jeux plus excitants ?
T : Quel jour sommes-nous ?
L : Pourquoi ?
T : C'est très important de savoir exactement la date, le jour et l'année, s'en rappeler parce que tu sais quoi ?
L : Non.
T : On est en train de vivre un moment historique toi et moi.
L : Ouais. Et sinon, c’était comment ?
T : Quoi ?
L : Les hold-up ?
T : C'est autre chose que tout ce qu'on connaît.
L : Pff, je savais bien que tu n'avais jamais rien dévalisé ! Et comment vous vous appelez?
T : Tulipe. C'est un nom que j'ai pris au côté du Che, non en 17 à Leningrad, non pendant le printemps du jasmin et le sang que j'ai versé à donné à ce nom un accent de vérité.
L : Mouais. Faites pas la tête ! Ça vous va pas du tout.
T: C'est quoi faire la tête ?
L : C'est ça.
T : Je trouve que ça vous va très bien.
L : Moi c'est Léni. Enchantée.
3 . Plans sur la comète
T : Non, doucement. Arrête, t'excites pas comme ça, t'es folle. Arrête,
arrête. Laisse-moi. Bon écoute-moi maintenant, je veux pas qu'il y ait de
malentendu, hein, l'amour moi c'est, c'est pas mon truc. Non mais c'est pas
spécial pour toi. C'est enfin j'ai, j'ai jamais trouvé ça excitant. Je suis
normal, j'aime pas les hommes, je suis pas pédé.
L : Oh ben ça alors, ben ça par exemple.
T : Hein ?
L : Ben ça.
T : Ben ça quoi ?
L : Ben toi alors, on peut dire que tu trompes ton monde. Personne ne
se douterait que tu n'as rien à offrir. Bon ben j'ai plus qu'à rentrer à la
maison.
T : Attends.
L : Me touche pas.
T : Ah c'est bon, c'est bon, si ton ambition est de trouver un étalon,
va voir ailleurs si j'y suis et tu y croupiras jusqu'à la fin de tes jours. Des
gars pour faire l'amour, t'en trouveras à tous les coins de rue. Et ceux-là se
foutent pas mal que tu vendes ton cul ou que tu fasses la caisse du Super U ou
n'importe quel boulot de bonne femme mais moi, je ne m'en fous
pas.
L : Pourquoi ?
T : Ben qu'est-ce que ça veut dire pourquoi ? Parce que t'es pas
comme les autres. T'es comme moi, tu veux que les choses bougent. Un drapeau
blanc au-dessus de ce putain de monde. On vaut mieux que cette vie-là. Si on
part tous les deux, on peut se tailler une belle route à travers l’Europe, et la
Californie, et la Cordillère des Andes, et le grand nord, et les grandes plaines
de Russie, et Tokyo si il faut, et Paris, Rome, Londres, Marrakech et aussi
Dubaï ! Et le monde entier nous appartiendra. Retiens mes paroles, Léni,
retiens-les bien. Tu te vois entrer dans le grand restaurant du Hilton à
Cannes, tu montes les marches avec... toute la panoplie Chanel, hein tu vois ça
d'ici ? Tu crois que c'est trop demander mais c'est pas encore assez pour
nous, tu es née pour ça.
L : Et quand est-ce que tu l'as inventé ton
roman ?
T : A la minute où je t'ai vue.
L : Mais pourquoi ?
T : Si tu viens avec moi, tu n'auras plus une minute
répit.
L : Tu peux me le jurer ?
T : Tu vas devenir la fille la plus célèbre du monde.
L : Plus célèbre que Madonna?
T : Non. Bonnie Parker.
4 – Le fruit défendu
T : J'ai longtemps erré sur les traces de l'humanité. Je suis
« une personne déplacée » et pas du tout rassurée... piétinée dans ses
rêves les plus paisibles. J'ai faim. Quel jour sommes-nous ?
5 – Léni
T : Je voudrais manger un gigot de mouton avec des pommes de terre en
satellites.
L : Il nous reste trois dollars à nous deux et toi
tu rigoles ? T'as une sale tronche. Tu devrais aller dehors voir à
quoi ça ressemble !
T : Je m’en doute.
L : Faut bien vivre ! On dirait que tu portes
toute la misère du monde. On est pas à Auschwitz.
T : C'était pas Auschwitz le plus horrible, mais
les petits villages à côté.
L : De quoi tu parles ?
T : Des petits villages à côté où les gens vivaient
heureux. Aujourd'hui rien n'a changé.
Nous habitons tous le village à côté, nous écoutons de la musique, nous lisons
des livres, nous faisons des plans pour passer les vacances à la mer.
Et qu’importe si les trois quarts du monde sont dans la misère,
pourvu que brille le soleil dans notre village d’à
côté ?
L : Arrête, arrête de méditer sur les misères
du monde, et bouge. La terre continuera toujours de tourner, heureux ou
pas...J'ai faim.
T : Où vas-tu ?
L : Poser pour une pub de
soutien-gorges.
T : Nue ?
L : Les seins seulement !
T : Non...
L : Tindin !(elle montre ses
seins)
Il l'empêche de partir.
L : Ça te fait peur de découvrir qui je suis ?
T: Je sais déjà tout de toi.
L: Ah oui ? Épate-moi.
T : Alors tu viens de nulle part comme moi.
L : Oui.
T : Fille d'une nombreuse famille.
L : Oui.
T : Tu es allée à l'école bien sûr mais tu n'y a pas appris grand
chose, tu en savais déjà plus long que tout le monde. Et un beau jour, tu
plaques tout pour un garçon que tu trouves gentil parce qu'il te dit que tu es
une fille merveilleuse. Tu étais presque mariée avec lui ? Et puis tu as
pensé, non ça serait bête. Alors tu l'as quitté et c'est là que tu as pris cette
place de « serveuse ». Et tous les matins en te réveillant tu penses,
je déteste ça. Tu détestes ça, tu descends en ville, tu mets ton tablier
rose.
L : Blanc.
T : Blanc. Les clients te dégoûtent avec leurs gros bras. La plupart te
demandent d'aller faire un tour pour coucher avec toi. T'en as marre. Quand tu
rentres à la maison, tu te jettes en travers de ton lit et tu te demandes quand
et comment faire pour sortir de ce trou. Aujourd'hui, tu le sais. (Il lui
enlève son chewing-gum puis la gifle). Change ça, j'aime
pas !
L : C'est vrai, je viens de nulle part. Juste une pauvre fille qui
croit que tout est possible. Je vis sur un petit nuage, j'espère des trucs que
j'aurai jamais. Je me fais des films. Je voudrais être actrice, à Hollywood.
C'est pas impossible. Je pourrais être Jean Seberg. Ou Kate Winslet dans
Titanic. Ou Marilyn Monroe. peut-être seulement dans une pub pour des
barbituriques, d'accord, mais Marilyn.
Mais au lieu de ça, je suis là. Et j'ai fais quoi, jusque là ? Juste
pas grand chose. J'attendais. Je me disais faut que tu te décides à faire
quelque chose de ta putain de vie. Et puis t'es arrivé. Peut-être que tout ce
que tu m'as promis, c'est des conneries mais moi j'y ai cru à notre belle
histoire... sauf qu'il est où l'igloo ? Hollywood ? Ma panoplie Chanel...Il est
où Robin des bois, Clyde Barrow ? Il est où Tulipe ? Je suis sûre que t'as
jamais rien piqué, même pas deux balles dans le porte-monnaie de ta mère.
Tulipe, pour pas qu'on reste ici toute notre vie sans rien faire...faut qu'on
trouve une idée de génie...
T :Où tu vas ?
L : Poser à poil pour des photos. Ben oui. Tu m'as prise pour
qui ? Léni. Voilà qui je suis. Et puis faut bien qu'on bouffe... Et j'ai
faim !
T : Ben change rien, t'es
formidable.
6 – Chassé du jardin
d'Eden
T : J'ai longtemps erré sur les traces de l'humanité. Je suis
« une personne déplacée » et pas du tout rassurée... piétinée dans ses
rêves les plus paisibles. Quel jour sommes-nous ? C’est très important de
savoir exactement la date. Le jour, l’année, le temps qu’il fait, tout cela est
d’une importance capitale : il ne s’agit pas de laisser cette époque
historique vous filer entre les doigts.
7 – Une idée de génie
L : Un fort vent de défaitisme
souffle ici. Les choses ne vont pas si mal que ça. L’humanité s’est traînée
jusque-là, elle se traînera plus loin encore.
T : Elle s’est traînée jusque là, d’accord, mais on se demande
pourquoi ?
L : Parce qu'elle attend son chant de son
rossignol.
T : La révolte. La révolte c'est son chant de
Rosignol.
L : Et ce qui manque c'est juste un rossignol.
T : Un guide pour que demeure la trace de ses pas. Une belle et pure
figure de proue. Un
nouveau Führer ! Kadhafi ! Un petit Poutine !
L : Mange un morceau, ça te fera du bien, on
n'a rien mangé depuis vingt-quatre
heures.
T: Si j’avais le courage de mes idées, je ne mangerais plus. Personne
ne mangerait plus. L'humanité entière ferait la grève de la faim pour protester
contre l’époque, contre la haine, contre la peur, contre le repli sur soi et le
silence, contre tous ces villages heureux en apparence et paisibles mais qui
oublient, s'oublient en croyant qu'ils dorment en marge de la misère du monde.
L : Qu'est-ce qu'il y a ?
T : Je rêve... On pourrait lancer un de ces grands
mouvements humanitaires "Contre
le petit village d'à côté, tous unis et en avant !" ça pourrait être un
joli slogan. "Arrêtez
le monde, je veux descendre !". Putain, je viens d'avoir
une idée de génie !
L: Qu'est-ce c'est encore comme cochonnerie ?
T : Une formidable escroquerie, une affaire prodigieuse ! Une
idée si belle et si simple ! Je
vais organiser une
grève de la faim pour protester, pour réclamer du pain, de la lumière et de la
chaleur pour tous… On va se faire un fric fou ! Tu vas
voir, on
va rire !!
Ecoute-moi: 925
millions d’hommes meurent de faim … Et
vous ?
PARTIE
2
8.
Babel
Le rossignol
continua de chanter et l'humanité continua de grandir. Dans un premier temps le
public de plus en plus nombreux était attentif au chant du rossignol. Puis
l'humanité s'est désintéressée de lui, trop occupée par son propre spectacle.
9. A la une
L : Bonjour à tous, j’ai eu vent d’un événement
sensationnel. Pas un crime,mieux que ça: un homme meurt de faim. Vous allez me
dire : « Sans intérêt. Il y a des millions de types qui crèvent de
faim dans le monde. Si vous croyez qu’on parle de chacun d’eux dans les
journaux. Moi même j’ai crevé de faim à New York. Ça n’intéresse
personne. » Je suis d'accord, on commence toujours par crever de faim à New
York, Dallas, Paris ou Reims jusqu’au jour où l’on fait crever de faim les
autres. C’est ce qu'on appelle « réussir ». Mais Celui-là meurt de
faim VOLONTAIREMENT. Il fait la grève de la faim. Vous voulez savoir pourquoi ?
Attendez. Je l'avais noté sur un petit bout de
papier...
10. Interview
T : Vous avez des questions à me poser.
Spectateur 1 : Pourquoi faites-vous tout
ça?
T : Pour protester contre la grande misère du monde. Pour rendre le
goût du sacrifice aux hommes et leur montrer la voie. Pour éveiller dans notre
époque avilie, un grand écho de fraternité et de solidarité humaine.
Spectateur 2 : Vous êtes
un nouveau Gandhi. Vous faites du prosélytisme ?
T : Et vous?
Spectateur 3 : Vous n'avez
pas honte de faire la grève de la faim alors qu'il y a une famine en
Somalie ?
T : Joli pays la Somalie. Mais l'Afrique c'est loin. Enfin l'humanité
c'est bien plus loin encore.
Spectateur 4 : Avez-vous
des convictions politiques ?
T : Mais vous me prenez pour un homme libre, ma
parole.
Spectateur 5 : Que
pensez-vous du capitalisme? De l'impérialisme? Avez-vous une usine?
Respectez-vous les banques?
T: Chaque fois que j'en croise une je me signe, parole d'honneur!
Spectateur 6 : Voulez-vous
changer par la force les institutions de ce pays?
T: Non, je suis jeune, je suis prêt à attendre que ça s'écroule tout
seul.
Spectateur 7 : Et le
problème noir? Le problème jaune? La montée de l'islam? L'islamophobie? Que
pensez-vous du problème des roms ?
T : J’admire énormément la délicatesse avec laquelle toutes ces
questions sont traitées, sans jamais aller aux excès de Dachau ou Staline.
L
: De qui se fout-on ici ?
T : On se fout de tout, on s'en fout de tout. On se
fout de la qualité, on s'en fout. On produit, on consomme, on engloutit. Il faut
arrêter l'humanité dans sa course folle car on se fout de la douce lumière du
jour, on se fout des océans et des îles mystérieuses et des neiges de l’Himalaya
et des fleurs étranges qui poussent, dit-on, sur le Kilimandjaro. on s'en fout.
On se fout de la liberté des nations et de tous les violons qui ont jamais
pleuré sur cette terre et de tous les bateaux ivres de l’espoir humain, des
mains tendues et de celle qui mourut sur un bûcher et des premiers qui ont dit
je t’aime. on s'en fout. et de Hans Scholl, l'anti-nazi qui cria vive la liberté
avant d'être fusillé, on s'en fout. on se fout de l’amour maternel et de la vie
de nos enfants, on s'en fout, et de leurs avis on s'en fout. et des
encyclopédies et des villes rasées et des histoires intimes. on s'en fout, on
s'en fout, on s'en fout. J'ai commencé la seule chose qui restait à faire : une
grève de la faim pour protester contre la condition humaine. Elle sonnera comme
un cri de ralliement. Ça commence ici. Par moi.
L
: Mais vous êtes
qui ?
T : Regardez-moi bien. Je suis une toile de maître. Je suis le
portrait de l’homme vers le début du vingt et unième siècle dans toute sa
grandeur. Je suis celui pour qui Homère à chanté, Michel-Ange sculpté, Marx
pensé et Newton calculé, Jimmy Hendrix joué, Neil Armstrong volé, et c'est pour
moi que De Gaulle a fait de la radio ! Regardez-moi bien mes frères :
je suis plus maigre, avec moins de poils sur la poitrine et la gueule qu’il y a
vingt mille ans, mais à part ça, il n’y a rien de changé à ma misère. Je suis
l’homme moderne, l’homme nouveau, libre, puissant, victorieux jusqu’à la moelle
des os ! Je suis un appel au réveil de la civilisation!
L :
Tout à l'heure, vous étiez une toile de maître, à présent, un
réveil...Qu'en sera t il la
prochaine fois ? Un caillou peut-être, un caillou qu’on jette dans le
gouffre, pour voir si c’est profond...?
T : Je ne sais pas. Je ne suis pas un intellectuel.
L :
Quel est votre but ?
T :
Pour l'instant, je veux attirer l’attention... Aidez-moi.
Unissez-vous à moi dans mon humble
protestation. Tous les dons seront reçus avec
reconnaissance. Nous manquons de produits alimentaires,
de vêtements chauds et surtout d’argent liquide. N'hésitez pas, soyez généreux.
C'est pour la bonne cause. Un timbre poste doit être joint pour la
réponse.
11. L'emballement
L :
Passant la monnaie...
Léni
chante « Summertime ».
L
: Tulipe ! Vous ne pouvez plus vous déplacer sans être assailli par une
horde de fans en furie. Il est évident qu'une question brûle toutes les lèvres
de vos fans : Avez-vous une petite
amie ?
T :
Peut-être pourriez vous me le dire ?
12. Prophète.
Pendant des siècles l'humanité gloutonne a ignoré le chant du
rossignol. Jusqu'à ne plus en comprendre le sens. Alors le rossignol n'a plus
chanté que pour les rêveurs affamés. Un jour, l'un d'en eux, une personne
déplacée et pas du tout rassurée, voulant arrêter l'humanité dans sa course
folle à appris le chant du rossignol. Et l'a chanté aux autres
hommes.
13. Répercussions
L : Le jour se lève.
T : La nuit, c’est tout ce qu’on mérite. Une nuit
noire, froide et sans sucre, comme le café des mauvais lieux. Et voilà tout ce
qu’il y a de nouveau. Le jour qui se lève. Un peu maigre. Quelles sont les
nouvelles ?
L : « Tulipe
refuse obstinément toute nourriture. », « Plusieurs manifestations de
jeûneurs devant Mc Donald, Danone, Master Chef et Weight Watchers »,
« Tulipe, Le Mahatma », « Ne
soyons pas indifférent à la grandeur de Tulipe! » « Soutenez
Tulipe, donnez ! », « Tulipe à déjà amassé 80000 dollars de
souscription. Tulipe, la réussite
asociale »
T : Ça mord. Ça mord ! Il mange.
L : Dans celui-là, on te traite de socialiste.
« Une forme nouvelle de sabotage »
T : Qu'est-ce qu'ils disent?
L : « Si
les jeûneurs se multiplient, la consommation sera ruinée. La production sera
réduite à néant car des ouvriers qui ne mangeraient pas seraient incapables de
travailler. Nous courons droit à l’abîme. Nous
exigeons la mise en examen de Tulipe et de ses
partisans. »
T : Autre chose?
L : Les autres pages sont entièrement vouées à
l'actualité... On a reçu notre première lettre de soutien de l'étranger.
Qu'est-ce qu'on répond ?
T : Dis-lui qu'il faut déjà qu'elle paye sa cotisation.
14. L'amour non je peux
pas
T : Léni. Il faut que je te parle sérieusement.
Voilà. Pour l'instant ça mord c'est super mais un jour tout va nous retomber sur
la gueule et ça va pas être tendre. Alors écoute, il en est encore temps.
Casse-toi. Je t'achète une voiture et. Casse-toi.
L : Non.
T : Je tiens beaucoup à toi tu sais ?
L : Non
T : Écoute, si c'est pour le fric, je t'en donne tant
que tu veux.
L : C'est pas ça qui m'intéresse. Tulipe, je voudrais qu'on soit Roméo et
Juliette...
T : Roméo et Juliette, ça c'est
bien des idées de filles. Je t'ai déjà dit, l'amour c'est pas mon truc.
L : Tu vois, tu disais que tu ne pouvais pas te passer de moi ? Tu
peux très bien. Roméo lui ne pouvait pas se passer de Juliette. Mais toi tu
peux.
T : Non. Je ne peux pas me passer de toi. Fais pas cette tête. Qu'est-ce que
t'as ?
L: Rien tout va très bien.
T :Souris-moi, je compte jusqu'à 8. Si à 8 tu ne m'as
pas souri, je t'étrangle.
L : Oh la la, ça c'est bien des idées de garçon.
T : 2...3...4 5 6...7...7 et demie...7 trois quarts...
tu as tellement peur que je parie que tu vas
sourire.
L : J'ai plus envie de jouer aujourd'hui.
T :Tu es lâche, c'est dommage.
L : Pourquoi tu me dis ça ?
T : Tu m'énerves. J'sais pas.
L : Toi aussi.
T : Non, moi je ne suis pas lâche.
L : Comment tu peux savoir que j'ai peur ?
T : Dès qu'une fille dit que tout va très bien, c'est qu'elle a peur de
quelque chose. Je ne sais pas de quoi mais elle a peur. C'est pour ça que je te
disais de te casser. Casse-toi !
L : Tu m'énerves.
T : Léni? Tu m’aimes
toujours ? Je te dégoûte pas ?
L : Pas plus que d’habitude.
T : Je suis un cochon.
L : Ca c'est sûr.
T : Je le savais, tu ne m’aimes plus...
L : Mais si mais si. L'amour
ça prend aussi les cochons.
T : Bientôt. On partira d'ici.
L : Oui.
T : On ira vivre quelque part à Hollywood, loin de la
civilisation.
L : Oui.
T : Nous irons vivre loin de la société, quelque part dans les
solitudes polaires.
L : Oui.
T : Nous aurons un igloo, des chiens fidèles, des enfants qui n'iront
pas à l'école.
L : Oui.
T : Le matin, j'irai à la chasse au phoque et je reviendrai le soir
épuisé mais heureux.
L: Oui. Le sport ça fait du bien.
T : Toi pendant ce temps, tu donneras la tétée à nos enfants, la
becquetée aux pingouins familiers. Et nous vivrons et mourrons
heureux.
L : Nous vivrons et mourrons heureux, c'est ça ! Le petit bonheur
à deux, tu crois que c'est un bonheur à ma taille ?!
T : Qui te parle de
bonheur ? Je te parle seulement d'amour.
15. Infoswebdiffusion
Télé : Mon mari a voulu
commencer une grève de la faim. Heureusement il ne peut pas résister à mon sauté
de veau. Mon secret : le sauté de veau William serin. En plus en ce moment
pour 2 boîtes achetées un ouvre-boîte est offert. Voir modalités et conditions
dans les magasins participants.
Nous continuons notre reportage. Il
est impossible de ne pas être pénétré d’un sentiment d’enthousiasme et de
profonde émotion face à l'ascension fulgurante du jeune Tulipe. Aujourd’hui
quarante deuxième jour de la croisade de la faim de Tulipe. Le maire a fait
appel à l'armée pour contenir les opposants venus en nombre manifester contre
celui qu'ils appellent "la mauvaise herbe" ou encore "le faux messie anarchiste
escroc international". Ses partisans ne sont pas en restes. Une foule compacte a
répondu à son appel et s'est massée place de l'hôtel de ville. Le voilà. Il
reçoit un bouquet de fleurs d’une petite fille. Il l’embrasse. C’est très
touchant. Vous entendez les acclamations de la foule. Je vais tenter de
l'approcher. Tulipe, pour Infoswebdiffusion. J'aurais une toute petite
question...(Tulipe
parle) Le temps est venu
pour un monde sans question, un monde tout vibrant d'une seule et infinie
réponse. Je suis la réponse. Voici la question. Voilà
des semaines que vous poursuivez votre jeûne et certains journalistes s'étonnent
à juste titre de vous voir en excellente santé. Avez-vous une explication à
donner ? Ce programme vous est offert par les automobiles Lord.
« Souple, économique, rapide, la voiture Lord travaille elle aussi pour le
bonheur du genre humain.»
T :
Hommes, femmes, pays, nous avons été à
ce point infectés d’indépendance que nous ne sommes même pas devenus
indépendants : nous sommes devenus infects. Écoutez bien car je suis l’étincelle qui
va mettre le feu aux continents. L’heure de la révolte a sonné,
je vais créer des Milices humanitaires à
travers le monde, armer tout une jeunesse enthousiaste, sincère et impatiente de
servir et de faire enfin quelque chose de vraiment
nouveau.
J’appelle à moi toutes les bonnes volontés humaines. Homo sapiens, ne vois-tu
pas que le masque est tombé ? Tout est à renouveler dans notre patrie
humaine : les cœurs, les esprits… Vous avez bâti des cités extrêmement
rapides, trouvé des lumières dont le soleil lui-même ne se doutait pas ; vous
avez imprimé plus de livres que vous n’en brûlerez jamais… Les collectivités
sont aveugles. Abolissez le principe criminel de la souveraineté des états. Je
veux libérer enfin toute la force cachée de l’individu. Une civilisation qui en
deux mille ans de son existence n’a pas su chasser la haine, la misère, la
violence de son sein, ne mérite pas autre chose qu’une fin immédiate. Une action
énergique s’impose. Aucune hésitation n’est permise. L’abstention est une
trahison. Choisissez l’amour, choisissez-moi…Je veux encore élever ma voix. Je
veux porter plus haut ma protestation. Suivez mon exemple… Il n’y a pas un
siècle à perdre !
T : Comment c'était?
L : Bien.
16. Voir Hollywood
L : J'men vais ! J'm'en vais. Tulipe. Reste avec toi. Tu devrais
dire ça normalement.
T : Reste avec moi.
L : C'est trop tard, fallait le dire quand j'ai dit je m'en vais.
Tulipe j'en ai marre. Ta gueule. Ferme ta gueule. Y'a un message subliminal
dans ce que je vais te dire : va te faire foutre. Moi je vais à Hollywood.
Je veux être une actrice. Je veux être Uma Thurmann dans un film d'action. Le prochain Tarantino. Billie
Holiday qui s'engage dans la brigade des stups, Aung San Suu Kyi en
résidence surveillée qui s'échappe par la fenêtre de la salle de bain. Je
pourrais être Ève qui
adopte un serpent. Ou un film d'époque avec des belles robes : Angélique
marquise des anges. Ou un truc sur les Tudors. Anne Boleyn décapitée qui
retrouve toute sa tête. Et après je tourne « Sur la route de
Madison 2» . Mets la musqiue de mon film. La musique !!! Avec Jackie
Kennedy au volant de sa décapotable, et sur le bord de la route y'a Rosa Parks
qui fait du stop « Allez grimpe Rosa, ici tu t'asseois où tu veux » et
à l'arrière y'a Sarah Bernhardt qui se tricote une écharpe, un film avec Sarah
Bernhardt qui se tricote une écharpe, c'est cinéma indépendant, et là on me
propose un drame historique. « Nuit et brouillard ». Et puis, un
truc ultra féministe genre Lucie Aubrac qui rejoint les Femen, Evita qui en a
marre de servir la soupe à Péron alors elle saute à l'élastique du haut de sa
tribune, elle rejoint Buffalo Bill, elle devient sa maitresse et ils partent en
Afrique sauver les éléphants mais ils se font attaquer par Aminatou de Zazzaou
et toute sa tribu, bien sûr ça sera compliqué de jouer Eva Peron et Aminatou
mais si on se débrouille bien, et après une comédie. Louise Michel dans "qui a
perdu son chat ?", Mata Hari dans « totalement à découvert », un porno
je sais pas ce qui m'a pris, et ensuite toutes les héroïnes : la reine de
Sabba, Simone Veil, Shéhérazade, Romy Schneider, Marie Curie, Anne Franck,
Angela Davis, Frida Kahlo, Mere Teresa, Agatha Christie, Bonnie Parker.
Hollywood. Hollywood. Hollywood. Hollywood. Hollywood.
T : Arrête de hurler !
L : J'ai besoin de hurler. J'ai besoin de hurler pour ne pas éclater.
Je tâche simplement de hurler quelque chose de raisonnable.
Hollywood !
PARTIE
3
17. Déluge
Léni détruit tout. Tulipe s'en contrefout.
18. Solitude
T : Aujourd'hui premier jour de mon véritable jeûne.
Ça fait trois jours que je ne mange plus.
Septième jour de mon véritable jeûne. J'ai
faim, j'ai froid, j'ai des poux, ce qui prouve que l'humanité est capable de
survivre au désastre. Je ne me moque que de moi-même.
Dixième
jour. Je fais le malin, je grogne, mais en réalité je suis à vendre.
Voulez-vous m'acheter ? Le cynisme c'est tout ce qu'il me reste. Si vous
prenez aux hommes leur cynisme avec quoi vont-ils se défendre ? Nous
courons droit à l’abîme. L’abîme, c'est le rêve insensé des hommes habitués à un
enfer de platitude.
Quinzième jour. Je ne
pleure même plus. Ni sur mon sort, ni sur le sort du
monde. Mes larmes sont toutes mortes. Une est partie avec Léni, d'autres étaient
déjà mortes , écrasées sous les bombes, noyées en quittant leur pays, asséchées
en plein désert, pendues, violées, fusillées, condamnées alors qu'elles étaient
innocentes et bientôt elles furent toutes englouties....... Et me voilà
maintenant tout seul sans une larme.
20ème jour de jeûne. Moi tulipe, je
suis devenu le leader du grand mouvement d'émancipation
humaine. Il y a des gandhis
partout. Ils font comme moi, la grève de la faim, tous résolus à vaincre ou à
mourir. Un
service d'ordre est posté en bas de chez moi, des milliers de jeunes filles se
couchent dans la rue en extase, dénudées. Moi,
au milieu de tous ces gens, je ne suis le petit ami de personne.
Trente-huitième jour : Je suis la patrouille de l’aube qui s’avance
dans le no man’s land…
Aujourd'hui, quarante
deuxième jour de mon véritable jeûne. Je regarde l'avenir de l'homme. Je
vois quelqu'un qui meurt sur la croix, un autre qui invente l'imprimerie. Pff,
je regarde du mauvais côté, il faut regarder en avant. Je vois des peuples unis,
des voyages sur la lune gratuits pour tout le monde, il n'y a plus de cancer ni
de sida, plus de sans papiers, c'est le règne de la solidarité, les guerres ont
disparues. Mais non c'est une blague! Je ne vois rien! Je vois un grand rien.
Dommage! Les forêts ont brûlé, les océans débordé, il y a de la cendre partout.
Ça sent le roussi...La terre ressemble à une patate brûlée. C'est à cause de la
bombe atomique. Celui qui me donne le secret de
l'énergie nucléaire, je lui donne en contrepartie le plan complet de la
cathédrale de Chartres.Les civilisations
n'ont pas d'avenir, elles n'ont pas de présent non plus, tout ce qu'elles
ont c'est un passé. Oh. Je vois quelque chose. Un arbre debout, tout nu, sans
feuilles. Sur une de ses branches, un rossignol chétif. Son bec s'ouvre, des
sons affreux sortent de sa gorge. Il chante. Oui. Il chante d'une voix humaine,
il ne chante que des chants révolutionnaires. Le rossignol a une affreuse tête humaine. Il me
ressemble. C'est moi. J'ai la plus belle voix du monde. Y'a
de l'espoir y'a de l'amour. Le rossignol chante pour
vous.
Tulipe chante « Is this it »
Soixante-treizième jour
de jeûne : Le rossignol se
saoule de sa propre chanson.
Aujourd'hui,
cent-cinquantième jour de jeûne. Le
Vatican veut-il savoir si mon corps dégage une odeur de roses ? On
parle
de miracle.
19. Miracle
T : Lève toi et marche
!
Léni entre, suivie par un cameraman. Elle porte des lunettes
noires.
T :Tu es aveugle ? Ouvre les yeux et vois !
Elle enlève ses lunettes noires.
L : Tu ne me reconnais pas ?
Silence
L : Je suis actrice. J'ai joué dans un film, avec un
grand réalisateur. Tu t 'appelles
comment ?
Cameraman : François
Spielberg.
L : Spielberg.
Là-bas, à Hollywood, un film sur toi, ta vie. J'avais un rôle phare,
j'interprétais mon propre rôle, celui de ta petite amie. Tu m'as manqué.
Le film s'appelle "Les
derniers jours de Tulipe et Léni".
T : Une vieille histoire d'amour qui n'intéresse plus
personne.
L : Les gens adorent les histoires d'amour, surtout lorsqu'elle sont un
peu tristes. Je suis venue te voir mourir. Comment ai-je pu à tel point douter
de toi ? Je n'ai jamais douté de toi. J’ai juste douté des autres hommes.
T : Je crois aux hommes.
L : On ne peut pas croire aux hommes et vivre, on mourrai à chaque
instant le cœur brisé. Sinon je peux dire aussi : Autant jeter une
bouteille à la mer. Enfin, il n'y a même plus de mer, il n'y a que des
bouteilles.
T : J'aime. J'ai beaucoup aimé l'humanité.
L : On ne peut pas l'aimer toute entière. On peut l'aimer dans un homme
ou une femme, comme on aime toute la Terre dans un chewing-gum. (Au
cameraman) Coupez ! Coupez !Allez viens. Je suis venue te
chercher. Il faut qu'on se casse d'ici Tulipe. Tu as trop chanté. Les gens tu
les entends? Spielberg, on peut avoir de la luimière ? Tu les vois ?
Ils te veulent pour président! Ils te veulent au Sénat, à L'ONU, ils te veulent
pour pape! Ils te veulent partout! Il y en a même un qui croit que tu vas te
transformer en oiseau et t'envoler par la fenêtre.
T : J'ai faim
L : A cause de toi, ils croient que les peuples vont guérir de la
rage nationaliste, que tout le monde aura du pain, qu'il n'y aura plus de
malheurs. Mais Tulipe! Tu vas leur donner la lumière et ils vont continuer à
tourner en rond dans les ténèbres. Tu vas leur rendre la parole et ils vont
t'insulter. Tu les entends? En vérité, ils grincent des dents, ils vont te
pendre.
T : Pour quelle raison? De quoi on pourrait bien m'accuser. On
m'embrasse, on me vénère, on m'envoie des bouquets de tulipes et, du jour au
lendemain, on voudrait me rouer de coups... ?!
L : Comme s'il leur fallait une raison pour pendre un homme !
Tulipe. Qu'est ce que tu ferais, qu'est ce que tu ferais, si un miracle se
produisait. Si on pouvait sortir d'ici et repartir de zéro, purs et innocents,
hein ?
J'ai faim, il faut que je mange quelque
chose.
20. Le nouveau
monde.
L : La personne déplacée chantait pour que jamais aux nuits des hommes
ne manque le chant du rossignol. Mais l'humanité toujours plus gloutonne ne
voulait pas entendre. Alors la personne déplacée, n'a plus mangé du tout. Et
enfin les hommes l'ontt entendu et acclamé. Alors pour que l'humanité continue
d'écouter il fallait que plus rien ne la détourne de son chant. Alors il mangea.
Il mangea comme tremble la terre, comme souffle le vent, comme boit la mer.
T : Il avala la douce lumière du jour qui se lève, Guantánamo et
Buchenwald, le petit village à côté et ses pêcheurs à la ligne et tout le pain
sec des prisons. Il engloutît tous les champs de coton et les plus grandes
usines du monde et tous les contes jolis qu’on murmure à l’oreille des enfants
et tout l’espoir qu’on donne aux hommes et toutes les fleurs qu’on appelle
sauvages parce qu’elles poussent librement.
L : Il mangea comme on refuse de se rendre, comme on dit adieu à l’aube, comme on pend un dictateur, mais lorsqu'il eut fini de manger, il avait encore très faim et il y avait encore, sur terre, beaucoup beaucoup à manger.
T : Alors il engloutit notre dame, les jardins suspendus de Babylone La théorie de la relativité, Roméo et Juliette.
L : Il avait encore faim et il y avait toujours sur terre beaucoup beaucoup à manger.
T : Il avala wall street, Fukushima, les immigrés qui font naufrage, 20000 tonnes de bombes et d'armes chimiques en une seule nuit sur une seule capitale. 20 siècles de civilisation et tout l'amour des philosophes et Michael Jackson.
L : Il mangea comme jamais homme ne mangea sur terre et quand il eut terminé il vit qu'il restait encore de quoi crever de faim, de honte, de guerre et de mépris, de bêtise et d'espoir, d'amour et de beauté et de ferveur infinie pendant des millénaires. Alors le cœur lui manqua, les bras lui tombèrent et il sut que jamais, jamais rien n'empêcherait l'humanité d'ignorer le chant du rossignol.
T : Oh race traîtresse des hommes....
L : Il ouvrit la fenêtre.
T : On ne peut pas continuer éternellement à errer sur ce glacier.
L : As-tu seulement pensé au triste matin où il n'y aura plus personne pour ouvrir la fenêtre au jour qui se lève ? Alors il lui vint des ailes. Il flotta un moment dans l'espace tout en serrant contre lui, une miche de pain, il prenait des miettes et les jetait à la foule, comme s'il nourrissait des oiseaux. Puis, il s'éloigna aspiré par le ciel et disparut. Pendant longtemps des miettes de pain continuèrent à pleuvoir sur la terre. Voilà. Je ne vois pas ce que je peux rajouter d'autre. C'est comme ça que ça se termine. C'est un rossignol. Bon. Moi, je prendrai bien un coca-cola ou une bière. J'ai besoin de me dégourdir les jambes. On se fait une virée quelque part? Ou alors quoi? ...? Il faut bien vivre!